Un simple choix, Henrike Beyer
Compte finaliste du Prix Energheia France 2020.
Quel miracle, cette douleur. On sait qu’on a fait la bonne décision, mais quand-même on a le sentiment comme si le cœur est déchiré. Déchiré par des mains froides et sans pitié. Notre cœur bat et lutte, il essaie de se libérer comme un cheval sauvage dont la crinière flotte dans le vent quand il fait un dernier effort de regagner sa liberté. Mais chacun qui regarde la scène sait : « Ce cheval ne va pas se libérer. » Ces pensées occupent ma tête quand je me promène dans la forêt, quand je m’assois au bureau pour faire mes devoirs, même dans la nuit ils ne me laissent pas tranquille. Ils sont là comme des méchants kobolds qui se cachent dans les couloirs noirs de ma chambre et qui n’attendent que le moment où le les passe pour sauter sur mes épaules. Je sens leur poids lourd. Je les écoute murmurer dans mes oreilles. Ils disent : « Tu ne dois pas te priver de ta joie, tu as le droit d’aller le voir. » Il y a des moments où je suis proche de capituler devant leurs arguments. Quand je regagne ma contenance, je vois que cela ne sont pas du tout des arguments. C’est mon égoïsme qui parle et ne pas la raison.
Mais avant que je continue cette lamentation, il faut expliquer un peu les choses pour que vous puissiez me suivre. D’abord, il faut peut-être savoir, que je connais mon égoïsme et que j’essaie toujours le transformer en quelque chose qui est altruiste et qui est le contraire de ce que je ferais si je suivais mon égoïsme. Donc si se suis dans la rue et je suis en hâte, je vais toujours essayer d’aider la femme enceinte de porter les sacs lourds avec ses courses. Après, je me sens mieux. Toute la journée, j’ai l’impression de danser sur des nuages parce que j’ai battu ce monstre qui vit dans ma poitrine et qui étend ses griffes longues et cruelles vers mon cœur. Mais j’ai vaincu de nouveau. Quand quelqu’un me demande : « Aline, ma chère, je vais déménager ce week-end. Est-ce que tu pourrais m’aider ? », Je vais être la dernière de dire : « Désolée, mais je voulais aller au musée le samedi », je vais dire : « Mais avec plaisir ! C’est pour cela qu’on a des amies. » Comme ça, je ne visite pas très souvent les musées, mais j’ai la bonne conscience de savoir que les griffes ont de nouveau raté mon cœur. Cette information va peut-être vous aider à comprendre ma situation, peut-être qu’elle va causer l’inverse et vous ne pouvez pas du tout comprendre pourquoi je me sens mauvais cette fois même si j’ai protégé mon cœur de ce monstre qui est, cette fois exceptionnellement persistant et envoie même ses kobolds pour me séduire. Je devrais être fière que je sois si forte, mais mon cœur n’a pas la légèreté habituelle. Normalement c’est le ciel bleu dans moi et mon cœur est comme une plume qui danse sur une douce brise. Mais maintenant c’est comme un jour tout gris et mon cœur est importuné par des coups de foudre. C’est comme si la plume est tout moue et flotte démunie sur un ruisselet qui s’est formé sur la rue.
Je ne peux pas décider sans blesser quelqu’un, sans causer du mal. Imaginez-vous un soir joyeux. La famille s’est réunie autour du poêle-cheminée. On se raconte des histoires, on se propose des énigmes pour s’amuser. Tu vas écouter tous les contes de fée de ton enfance. Tu vas te prendre la tête à cause des énigmes comme le suivant :
« La lune est mon père,
l’océan est ma mère;
J’ai des centaines de frères
et je meure si je touche terre.
Qui suis-je ? »1
Tu es tout calme, tout détendu, mais tout à coup, le grand-père commence à raconter :
« Imaginez-vous que le monde est en crise à cause d’une nouvelle maladie. Elle n’est pas mortelle pour tout le monde, mais les morts ne suivent pas vraiment un ordre logique. On est demandé par l’état de rester chez soi, de réduire les contacts aux autres pour les protéger, pour réduire le nombre des infections. On ne sait pas du tout quand on va avoir un vaccin ou une médicine pour lutter contre cette maladie. Cet état dure et va durer. Maintenant, imaginez-vous que vous avez un amant depuis longtemps qui ne vit pas chez vous, qui vit chez ses parents qui ont fortement peur de cette maladie. Malgré tout, l’état autorise que les couples se peuvent voir. Tout pourrait être bien, mais vous vivez chez vos parents qui ont du contact avec leurs collègues, ils ne peuvent pas s’isoler comme la famille de votre amant. Il va donc être très difficile de persuader la famille de ton amant que vous puissiez venir le voir ou qu’il puisse vous rendre visite. Mais la situation est encore plus compliquée : depuis quelques semaines, la sœur de votre amant a une liaison avec un de vos amis. Ils sont très amoureux, ils veulent absolument se voir. La sœur a déjà demandé aux parents de votre amant si le garçon de son cœur pouvait venir la voir et les parents ont dit oui. Vous et votre amant n’ont pas demandé parce que vous avez voulu attendre comment la situation se développe. Vous savez que les parents de votre amant ne vont pas être d’accord d’avoir deux personnes dans leur maison qui augmentent le risque d’infection pour leur famille et en particulier pas vous parce que vous avec beaucoup des contacts indirects à l’extérieur. Vous voulez absolument aller voir votre amant et vous savez que cela va être impossible au moment où l’amant de la sœur va la rendre visite. Qu’est-ce que vous allez faire ? »
La famille autour de vous va proposer des diverses solutions :
« On pourrait alterner entre les partenaires qui rendent visite à la famille ! » – « Non, ce n’est pas possible, dit le grand-père, chacun qui vient pourrait porter le virus et les contacts de la famille augmentent même si les deux personnes viennent en alternance. », répond le grand-père.
« On pourrait se rendre visite à l’hôtel ! «, propose un autre. – « Non, tous les hôtels sont fermés à cause de la maladie et quand même un des enfants pourrait emmener la maladie vers leur famille. », dit le grand père.
Tous les diverses solutions sont proposées pour que les deux couples puissent se voir et à la fin c’est vous qui devez prendre la parole. Vous connaissez comme moi l’égoïsme et ses dangers. Le grand-père vous regarde et vous parlez :
« Je sais que les parents vont interdire les deux visites si les deux enfants demandent. Je sais aussi qu’il va être très compliqué de persuader les parents de permettre ma visite et je sais que je vais causer du malheur chez la sœur et son amant quand ils ne peuvent pas se voir parce que je viens … » – « Donc, qu’est-ce que serait ton choix, l’égoïsme ou le contraire ? », demande le grand-père.
1 Si la réponse est d‘intérêt : c’est la vague.