Appunti di viaggio

Retour sur mon sèjour à Matera

« Le futur n’est jamais écrit à l’avance, pour personne. Votre futur sera exactement ce que vous en ferez, alors faites qu’il soit beau, pour chacun de vous. »

Retour vers le futur

Boulogne-Billancourt (France), le 10 septembre 2021, 5:50 (le jour du départ).

Je suis sorti de chez moi. Les routes de Boulogne sont encore obscures. Dans quelques minutes, je vais prendre le RER puis un taxi pour aller à l’aéroport de Beauvais. En marchant, je me retourne pour contempler Boulogne pour la dernière fois : aujourd’hui, je suis content – et satisfait. Je suis rarement satisfait, alors aujourd’hui je suis content et c’est tout ce qui compte.

Matera (Italie), le 10 septembre 2021, 18:35

J’arrive à Matera Centrale et me dirige vers le musée national. Des souvenirs ressurgissent à la surface de ma conscience alors que je marche : je me souviens de ces routes, et de cette épicerie, et de ce restaurant, et de mes rires ici avec les anciens lauréats. Je suis très heureux et je n’ai pas envie que le séjour commence, parce que je n’ai pas envie qu’il se termine.

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J’arrive au musée. Je salue Felice – c’est l’un des organisateurs du prix. Il m’emmène dans ma chambre : elle est magnifique, au sens propre du terme. « Repose-toi, me dit-il, il y aura deux évènements tout à l’heure au musée. » Je me repose un peu puis je sors.

Au musée, je fais la connaissance d’Emanuele et d’Irene, deux jeunes membres du jury du Prix Energheia Italie. Emanuele est un poète et il a plusieurs recueils publiés ; Irene est une écrivaine et elle vient de publier un premier roman. Après les deux activités, on dîne tous ensemble – Felice, Emanuele, Irene, sa mère, Francesco (le photographe du Prix Energheia) et moi. On parle de littérature italienne, de chanteurs italiens. On m’apprend l’italien mais avec un accent napolitain. C’est trop bizarre par rapport à l’italien standard mais c’est beau. On rit. On prend quelques photos. Ils aperçoivent que je suis fatigué : « Tu es trop fatigué, il faut que tu te reposes. » Je rentre avec Emanuele et en marchant on parle de l’influence de l’histoire sur l’écriture, de l’importance de connaître son passé pour forger son avenir, de la raison pour laquelle il écrit, de la raison pour laquelle j’écris. Je ne me souviens plus trop de quoi on a parlé aussi mais c’était une belle conversation.

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Le lendemain, au petit déjeuner, je fais la connaissance de Celia (la lauréate espagnole), de son petit ami, Javi, et de Fernando (l’organisateur du Prix Energheia Espagne). Ensuite, on fait un tour à Matera, on visite le musée de Salvador Dalí, on prend des photos, on déjeune ensemble. À 17h, au musée, Emanuele prononce un discours sur l’influence de l’histoire sur l’écriture. Après, Felice prend chacun des lauréats en vidéo et on se repose pendant deux heures avant la cérémonie de remise des prix.

Cérémonie de remise des prix, Musée national de Matera, le 11 septembre 2021

C’est 20h et il pleut. Ils ont décidé de faire la cérémonie à l’intérieur du musée cette année. Parce qu’il pleut, c’est ça. La cérémonie commence. Une introduction est faite par l’organisatrice du Prix Energheia Allemagne – c’est une écrivaine italienne résidant à Munich. Le lauréat de l’Allemagne et celui de la Slovénie sont absents parce qu’ils ont eu un empêchement. Celia est appelée tout d’abord, je serai le suivant.

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Je me prépare pour parler, je n’ai aucune idée des questions qu’on va me poser. Je suis un peu stressé. Pas trop en fait, mais le stress est là quand même.

Je me tourne vers Madame Cristina (l’organisatrice du Prix Energheia Liban) :

  • Madame Cristina ?
  • Oui ?
  • J’ai apporté le drapeau libanais, est-ce que je peux le tenir en parlant ?
  • Oui, bien sûr, pourquoi pas ?
  • Je ne sais pas, je n’ai pas envie d’avoir l’air dramatique.
  • Tu n’auras pas l’air dramatique, Tarek.
  • Ok.

Tout est en train de se manifester et je me tiendrai devant les spectateurs pour la deuxième fois. Ici, à Matera. Tout de suite, là. Je parlerai d’un texte que j’ai écrit et dont je suis fier. Je parlerai avec toute authenticité et les gens verront combien j’aime l’écriture.

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On nous appelle, il faut que je me lève. Alors je me lève et je tiens le micro. La première pensée qui me traverse en regardant les spectateurs : c’est que tout est réel. Il y a un an, avant que je vienne en France, afin de finir ma licence de lettres, j’ai rangé le drapeau libanais dans ma valise et me suis dit qu’un jour, je le tiendrais dans une cérémonie de remise des prix ou quelque chose de ce genre. Et aujourd’hui, ma vision est en train de s’exaucer, et mon cerveau n’arrive pas trop à comprendre ce qui se passe.

*

Je termine mon discours en dépliant le drapeau libanais. Tout le monde est en train d’applaudir et j’ai l’impression que je suis dans un rêve. Un rêve absolu. Je suis tellement content que je ne pourrai jamais oublier ce moment.

Après la cérémonie

Je vais avec les organisateurs du prix et les membres du jury pour dîner. On parle de la situation au Liban, de l’avenir en général, de l’écriture, de la publication. On reste jusqu’à 1 heure après minuit ensuite on rentre. J’ai juste quelques heures avant de prendre le bus et d’aller à l’aéroport de Bari.

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Je viens d’arriver dans ma chambre et je dois dormir. Mais j’ai peur de dormir car j’ai peur de rater l’alarme. Je suis content mais en même temps je suis triste car je vais quitter cette ville qui contient désormais des morceaux de moi. Je repense à la journée qui s’est écoulée, aux livres que je vais publier, où je serai dans quelques années. Enfin je ne pense à rien. Je suis allongé sur le lit et j’ai envie d’apprécier mes derniers moments ici. J’ai envie de laisser le temps couler. Ne réfléchir à rien. Juste fermer les yeux. Apprécier les secondes qui passent. Accepter que le temps est en train de passer. Accepter que les meilleures choses ont une fin et que je dois rentrer chez moi parce qu’il y a des responsabilités qui m’attendent : j’ai plusieurs interviews la semaine prochaine et des cours à donner, je dois aussi me préparer pour mon séjour Erasmus à Bologne, je n’ai encore rien fait.

Mes dernières minutes à Matera

La douleur du détachement. Ces gens avec qui j’ai passé juste deux jours mais qui m’ont offert le bonheur. Je n’ai pas envie de les quitter, je ne suis pas sûr de les revoir un jour. Peut-être qu’on ne se reverra plus jamais.

*

C’est l’aurore et j’attends le bus. En attendant, je me dis que ma passion pour la littérature m’a mené à des endroits que je n’avais jamais imaginés, je me dis que je ne laisserai rien ni personne m’empêcher de faire ce que j’aime.

J’ai envie que les gens se souviennent de moi en disant ‘écrivain’ et pas vraiment ‘ingénieur’. Je ne déteste pas l’ingénierie – c’est grâce à elle que j’ai découvert combien j’aime la littérature – mais au fur et à mesure que je grandis, j’aperçois l’ingénierie comme une chose minuscule, un moyen éventuel pour vivre, pas plus.

*

Aujourd’hui, j’ai la confiance de dire que je suis écrivain, et je trouve que c’est la chose la plus belle. Quand les gens me demanderont ‘tu fais quoi dans la vie’, je dirai que j’écris, ou que je suis écrivain, avant de dire que je suis ingénieur, parce que, tout simplement, c’est par l’écriture que mon identité se définit.