Parc Monceau, Paris_Maylis Sarnette
Nouvelle finaliste du Prix Energheia France 2023
Lettre à mon alter ego
Au hasard d’une promenade dans Paris, Alma décida de se rendre dans son parc de prédilection, leur parc. Hantée par son absence, elle avait pris son recueil préféré, le sien, à lui, afin de se replonger une énième fois dans les effluves de son absence. Comme si, en relisant les vers qu’il aimait tant, elle sentirait de nouveau sa douceur aujourd’hui disparue. Elle tenta, entre chaque élan de mélancolie qui la guidait dans cette partie du parc, de relire les éternels vers de leurs amours disparus. Entre Maupassant et Musset, elle observait ce carrousel, décors de leurs multiples danses. Peu importait le temps: qu’il vente ou qu’il neige, de midi à minuit. Peu importait la valse: classique, hongroise ou viennoise, tant que cela tournait de plus en plus vite, aussi vite que leurs amours naissants. Elle eut le tourni, ou un vertige, peut-être bien le vertige de la vie, légèrement déséquilibrée, elle reprit sa promenade, ferma son livre : elle ne voulait plus entendre Baudelaire lui chuchoter de s’enivrer. Elle marcha, pensa aux nombres de livres qu’elle avait lus et à tous ceux qui lui restaient à lire, sans lui. Elle laissa échapper une larme, une seconde, malheureusement une troisième, mais pas une quatrième. Elle était décidée à ne pas céder à cette dernière larme. Elle voulait partir, peu importe où, peu importe quand, elle voulait le venger. Confronter celle qui lui avait pris le seul amour de sa vie.
Chère Dolorès,
bonjour ou bonsoir, je ne sais plus, j’ai oublié l’heure qu’il peut bien être depuis ce qu’il s’est passé: Le monde a cessé de tourner depuis que j’ai vu la pluie tombée sur nos joues à jamais humide. Notre tristesse fut trahie par nos derniers sourires. Doux comme une étreinte éternelle. Et voilà Dolorès, voilà cette sensation, cette dernière image que j’ai avant de commencer une journée. Une journée à l’image de chacune de mes journées. Boire dans le même bol de Limoges, ce thé fade et insipide venant d’un vendeur au bord du rhin, tu sais celui qu’il m’avait offert… Lire un livre jusqu’à sa moitié, puis le ranger avec les autres: Hier, c’était entre Marivaux entre Maupassant et Musset, aujourd’hui, c’est Pérec entre Pagnol et Proust. Un ou deux morceaux de Ravel ou Mozart pour donner un rythme, tantôt au pinceau glissant légèrement sur la froideur de mes joues pour tenter de les réchauffer; tantôt à mon aquarelle vieilli pour redonner des couleurs à ma vie.Prendre la voiture pour aller travailler. Passer le reste de la journée à penser au livre que je trouverais pour deux ou trois pièces dans l’un des parisiens, pour n’en lire que la moitié…Peut-être que celui-ci sera entre Chateaubriand et Camus. Tendre et vicieuse Dolorès, moi, triste Alma, j’aimerais que tu me rendes les couleurs, les musiques et les douceurs de la vie, que je puisse enfin voir les livres à moitié plein.