I racconti del Premio Energheia Europa

Les jours à venir_Vodvarkova Dasa, Parigi

 

Prix Energheia France 2017

Journal du 29 Mars

Il y a une semaine aujourd´hui que je suis allée voir ma thérapeute pour la première fois. Une semaine que je suis officiellement dans la merde mentale : déçue par toute la vie, désespérée, faible. Donc après avoir raconté mon histoire, sèchement, sans aucune émotion exprimée, aucune larme dans les yeux, elle s´est rendu compte que oui, effectivement, je suis déprimée. La seule chose intelligente qu´elle m´avait conseillée, c´était de commencer un journal intime. J´écris donc pour la première fois de ma vie, et pour rendre cette tâche encore plus ridicule, je m´adresse à toi, toi qui m´a mise dans cette déprime. Et donc aujourd´hui, c´était la session numéro deux, où j´étais censée lire à voix haute ce que j´ai écrit pendant la semaine. Sauf que je n´ai rien écrit, et au lieu de dépenser 80 € pour lire ce que je n´ai pas écrit dans mon journal, je me suis assise au Palais Royal, à deux pas du cabinet, et pendant ces 45 minutes, j´écrivais pour toi.

Je n´ai pas écrit beaucoup, mais le plus important. Que ça faisait des mois que tu m´avais larguée, et ça n´allait pas du tout mieux pour moi. Que depuis le début, je savais que ça allait me marquer un peu plus que tous les autres cœurs brisés que j´avais déjà vécu plusieurs fois avant. Que je n´avais pas pleuré tout de suite, mais que j´étais juste choqué. Tellement choquée que je ne pouvais rien manger pendant 5 jours, comme si mon corps avait tellement de travail avec cette tristesse infinie, qu´il ne pouvait pas s´occuper des fonctions vitales. Que j´étais enfermée chez moi, que je fumais une clope après l´autre, que je ne buvais que du vin rouge, parfois du café ou de la tisane que mes amis m´avaient presque forcé à avaler. Que chaque matin, je me suis réveillée encore bourrée, en pleurant. Je ne rêvais que de toi, et peu importe ce qui se passait dans mes rêves, je me réveillais sans toi et ne pouvais pas me contrôler. Je pleurais comme une folle, le visage comme si je venais de me le rincer, gonflé, rouge, moche. Qu´au bout du cinquième jour, mon corps était si désespérément détruit, que j´ai eu de nouveau envie de manger, probablement pour pouvoir tenir debout sans s´évanouir. Qu´à partir de ce moment, j´avais l´impression de me sentir mieux, que j´avais retrouvé je ne sais plus comment la force d´aller à la fac, travailler, bosser sur mes projets, pouvoir imaginer un futur sans toi. Que petit à petit, j´avais commencé à sortir avec mes amis. Mais que c´était là que l´alcool, qui m´avait sauvé au début, me trahit à chaque fois que j´avais bu dans des bars. Combien de fois ça m´était arrivé de me retrouver au milieu des gens qui dansaient, buvaient, riaient, s´embrassaient…. Et moi, je pleurais. À quatre heures du matin au Grand Rex, à cinq heures du matin à la Concrète, à 3 heures du matin devant le Point Eph… La liste est encore longue. J´avais fait le tour des larmes dans des boites à Paris.

Que même si j´avais fait de mon mieux pour m´en sortir, j´avais échoué. J´étais ridicule, j´avais pleuré devant mes amis, devant des gens que je ne connaissais pas, devant les conducteurs de taxi qui hésitaient à m´accepter, devant les clochards qui voulaient me faire un câlin en voyant mon visage rouge et gonflé. Les clochards! C´était dans un de ces moments-là que je m´étais rendu compte que je n´allais pas m´en sortir si facilement et donc j´avais pris un rendez-vous chez la thérapeute. ”Tu connais Anaïs Nin ? Elle a publié son journal qu´elle a tenu durant 30 ans, et est devenue célèbre. On ne sait jamais ou ça peut te mener d´écrire un journal,” la psy essaye de me motiver, ou me faire rire. Mais ce n´était pas drôle. Oui, je connais Anaïs Nin, évidemment. Elle écrivait sur ses amants, sur sa relation libre, elle est tout mon contraire. Dans mon cas, écrire un journal serait une question de survie. Si l´écriture était la seule chose qui pourrait me sauver, j´y mettrais tout.

Et donc cette après-midi, je voulais tout te dire, tout ce que j´avais vécu après la séparation. A toi, qui m´avais brisé le cœur, qui m´avais écrasée en milliers de morceaux, qui m´avais volé toute ma force, mon identité, ma vie. Assise au Palais Royal, je pensais que j´allais écrire comme je te déteste, te reprocher ce que tu m´avais fait, te maudire. Mais, révélation de la journée, je ne pouvais pas. La réalité c´est que je ne te détestais pas. Tu me manquais, moi-heureuse me manquait, moi-amoureuse de toi, moi-enthousiaste de notre futur me manquait. Je t´avais donné tant, tout mon temps, je partageais tout avec toi, tu as été présent dans chaque moment de ma vie. Et alors tu n´étais plus là, et une grande partie de moi était partie avec toi. Je regardais autour de moi – les gens dans les rues, je les détestais parce-que ils n´étaient pas toi. Ils ne comprenaient rien, tu comprenais tout. Mes amis que j´aimais tellement, je les détestais, parce-que ils n´étaient pas toi. Moi je me détestais, je détestais tout et tous, mais pas toi. J´étais sûre que ce sentiment n´allait jamais disparaître, je pensais que je ne pourrais jamais m´en sortir. Je sentais que j´étais vide, incapable d´aimer ce qui vaut la peine d´être aimé, incapable de détester ce qui me blessait.

Lorsque j´avais fait ce résumé de ma vie pourrie, je m´étais sentie encore plus triste. J´avais compris que j´étais coincé. J´avais arrêté d´écrire, j´allumai ma cigarette, j´ arrachai les pages et je les brulai avec mon briquet. Pourquoi? Ce n´était pas juste, tu ne méritais pas que je t´écrive! Tu étais là-bas au soleil, tu profitais. Tu étais avec tes potes trop cools, vous faisiez la fête toute la nuit dans la boite Sputnik à Tel-Aviv. Il faisait chaud, vous preniez de la drogue, tu dansais avec des belles filles. Des belles brunes aux cheveux longs, à la peau mate, dorée par le soleil, aux yeux brillants. Leurs corps dénudés se laissaient porter par le son envoûtant de la musique, vous profitiez trop. Vous faisiez la fête jusqu´au matin, vous mangiez un peu de Sabih ou autre chose de délicieux. Vous alliez à la plage, vous regardiez les premiers surfeurs, qui n´étaient pas sortis hier soir pour se réveiller de bonne heure et profiter de la mer sans touristes. Vous fumiez, vous profitiez de la belle lumière de l´aube, de la vie. Je vous imaginais le regard plongé l´un dans l´autre, bourré d´envie et d´excitation… Vous passiez un putain de bon moment. Et moi – j´étais assise là au Palais-Royal, à Paris, la ville que je détestais tellement. Le Paris sale, froid, triste. Tu ne méritais vraiment pas que je t´écrive.

Pour la première fois depuis des mois, je sentais quelque chose de bizarrement positif. Je me réjouissais de rentrer chez moi, ouvrir une bouteille de vin, pleurer, et écrire. Pas pour ma psy, pas pour mes amis, pas pour toi – surtout pas pour toi.

Journal du 5 Avril

Aujourd´hui, c´était ma session numéro trois. Et je n´étais pas allée au Palais Royal. Munie de mon tabac, cahier et stylo, je me suis assise à la terrasse d´un café de Passage Brady dans le dixième. J´ai commandé un verre de Bordeaux, pour changer, j´ai allumé ma cigarette, et je n´ai absolument rien écrit. J´ai pensé à cette semaine qui avait passé si vite. Quelque chose avait changé. J´ai avancé mes travaux, je ne buvais presque plus, la cigarette commençait à me dégoûter. Je suis devenue très cynique, je me faisais presque rire moi-même. J´arrivais à sourire d´une façon naturelle et honnête. J´arrivais à répondre à la question ”comment tu vas” avec une réponse ”ouais ça va et toi”. J´arrivais à passer des soirées entre amis sans pleurer en rentrant. J´étais assise toute seule, je fumais ma cigarette et j´étais fière. J´ai fermé mes yeux et écouté la musique qu´on jouait dans le passage.

La musique m´entourait, elle était assez forte, ou alors le son était très clair, vu qu´il n´y avait personne avec moi. Je ne connaissais pas ce groupe, mais il était agréable à écouter. J´ai arrêté d´écouter de la musique depuis qu´il m´a quittée. Je refusais d´écouter la musique qu´il m´avait envoyé, il m´en avait envoyé beaucoup et presque chaque soir un nouveau morceau, et à chaque fois c´était un morceau que j´adorais. La musique est devenue pour moi le symbole de notre relation, et quand on s´est séparés, je devais aussi me débarrasser de la musique. Ça m´a manqué énormément, mais je pensais que je n´étais pas encore prête à prendre le risque de l´écouter, que je n´étais pas assez forte.

Juste en pensant à ça, la musique a changé. Et bien-sûr, c´était un des morceaux que j´écoutais tout le temps quand j´étais avec lui. J´ai rouvert les yeux rapidement. Le son m´a réveillée de ma tranquillité en un clin d´œil. C´est comme s´il m´avait percé l´intérieur des oreilles. Je ne savais pas quoi faire, je voulais partir tout de suite. J´ai remarqué un vieil homme assis en face de moi, que je n´avais pas vu arriver, qui a levé la tête de son journal et m´a regardé d´un air surpris et suspicieux. Je me suis rendue compte que j´avais fait plein des mouvements trépidants et je devais avoir un regard horrifié. J´ai essayé de me calmer. Je voulais payer et partir, mais j´ai vu que le serveur n´était pas au bar. Alors j´ai plutôt bu du vin à grosses gorgées. Cela m´a presque brûlé la gorge ce qui a un peu changé mes pensées. J´ai commencé à me moquer de moi-même pour cette panique stupide. J´ai décidé de rester et fumer une autre cigarette. En la roulant, j´écoutais la chanson. Je n´avais jamais compris les paroles. La chanteuse n´articulait pas clairement.

J´étais toujours nerveuse, mais je n´étais pas vraiment triste, plutôt nostalgique. Je n´arrivais pas à rouler la cigarette, mes mains tremblaient beaucoup. Peu après j´ai arrêté de faire l´effort, c´était physiquement impossible de produire une clope en tremblant comme ça. Spontanément, je suis allé sur internet pour rechercher les paroles. Et en faisant cela, je pensais comme c´était étrange : j´étais assise dans un passage presque vide, à Paris, toute seule, accompagnée seulement d´un homme d´une centaine d´années qui fumait son cigare à l´odeur très forte, et quelqu´un a décidé de mettre cette chanson précise, qui me faisait penser à une seule personne au monde. Vraiment comme un signe. J´ai trouvé les paroles et je les lisais lentement. Je n´avais vraiment aucune idée de ce qu´elle chantait avant de lire les lignes. Je me suis arrêtée sur ces paroles :

Move away from your western guns – Travel towards eastern suns

Far above all earthly goals – A pledge for creation´s soul

C´était un grand moment. Je souriais, et j´ai senti les larmes couler sur mes joues. Je ne comprends toujours pas ce qui m´est arrivé à ce moment-là, mais c´était sans doute une sorte de libération. Ca faisait plus que 5 mois que j´essayais d´éviter cette musique pour me protéger contre la tristesse. Et maintenant, c´était plus qu´évident que j´en avais besoin. Je ne pensais pas à lui. Je pensais à moi. C´était ma musique maintenant, pas la sienne. Il n´avait plus de place là-dedans. C´était comme si j´avais retrouvé une chose qui m´avait manqué. J´avais pensé que c´était lui, mais ce n´était pas le cas.

J´ai payé et je suis sortie du passage. Il pleuvait légèrement mais il ne faisait pas du tout froid, c´était très agréable. Le temps parfait pour mon état d´esprit. J´ai marché très vite. Pour la première fois depuis très longtemps j´avais très envie de faire quelque chose et je savais exactement ce que c´était. J´ai remonté la Rue du Faubourg Saint-Martin, je suis rentré dans la Gare Saint-Lazare et j´ai trouvé la boutique. A travers de la fenêtre, j´ai vu que le ciel s´est complètement couvert et que l´orage allait commencer. J´ai senti mes yeux humides de joie, je devais les ouvrir largement et regarder vers là-haut pour éviter les larmes de couler à nouveau. J´ai pris les premiers écouteurs que j´ai trouvé et je les ai payé rapidement à la caisse. A la sortie, les gens se cachaient sous la marquise devant la pluie. Je me suis arrêtée à côté d´eux et j´ai déchiré l´emballage. J´ai branché les écouteurs dans mon portable et les ai mis dans mes oreilles. J´ai augmenté le volume et je suis partie.

J´écoutais Sivan Shavit dans les rues de Paris sous la pluie, mais dans ma tête je regardais le couché de soleil sur le toit à Alharizi.