Alter ego, Alice Arena
Récit finaliste du Prix Energheia France 2020
Alice, en France on m’appelle comme ça.
À l’écrit, en effet, le nom est pareil à l’italien, mais en italien, pour reprendre cette drôle de prononciation que les Français ont, on devrait l’écrire “Alis”, avec un -s final.
On m’a demandé de penser à mon alter ego. En effet, je suis moi-même un alter ego, je n’ai besoin de rien inventer. Ici, je ne suis pas “Alice”, prononcé à l’italienne, mais Alis, à la française, une fille italienne en France. Ce qui est drôle c’est qu’en Italie je ne me suis jamais sentie particulièrement italienne, et maintenant que je suis en France, me voilà coincée dans mon italianité presque étouffante.
Mon alter ego, on disait. Oui, je n’ai besoin de rien inventer. C’est quelqu’un qui n’arrive pas à être soi-même, peut être aussi car la langue dans laquelle il essai de reveler son essence, de se denouer, ne lui va pas bien. C’est un habit qui lui va large, qui le fait chanceler, tomber, saigner à chaque pas, tout comme ces phrases bizarres que j’essaie de figer dans une page blanche qui me regarde menaçante. En fin de comptes, il n’est qu’un étranger, dans un mode décrit dans une langue qui n’est pas la sienne. Et quand la réalité est immobilisée par des mots qu’on ne maitrise pas bien, auxquels on est aveugles, alors toute surface devient pointue e chaque pas, chaque mouvement te fait cogner contre une nouvelle vision des choses.
Alis, cet alter ego dans lequel je suis coincée, va devenir la protagoniste d’une histoire. Apparemment, c’est ce qu’on est censé faire.
Et nous voilà donc au jardin du Luxembourg, en train de marcher sans but. Ici, Alis a presque l’impression de ne plus être une étrangpre, de ne plus être tout court. Elle aime bien regarder les autres, disparaitre derrière les arbres pour juste observers la vie qui s’écoule, et se sentir partie de quelque chose de beaucoup plus grande, que n’importe quelle langue n’arriverait pas à saisir. Oui, dans ce moment, la vie n’a pas de langue, elle est muette, observatrice.
Et ainsi est Alis : muette, observatrice. Petit à petit, elle commence à disparaitre, à s’unir au font, aux bruits, aux gens anonymes, aux statues, au tout.
Elle aime bien passer du temps dans ce jardin aussi car c’est un de seul de la journée où elle peut regarder le ciel. En effet, depuis qu’elle était arrivée à Paris, elle passe beaucoup plus de temps dans le ventre de la terre qu’à contact avec les arbres et le ciel. Cette sensation l’étouffait, et elle s’était découverte un peu claustrophobe. Elle essaie de se concentrer sur l’environnement et ce qui l’entoure, pour essayer de mettre de côté cette asphyxie qui la hante.
Elle observe ses alentours et s’aperçoit d’une fille aveugle, qui marchait à pas sûr avec son chien. Cette scène lui semble particulièrement jolie et humaine, elle essaie de s’en remplir les yeux. Tout au coup, un bruit violent brise son invisibilité et envahit son espace privé : c’était le téléphone, cette machine infernale qui continuait à la poursuivre partout. Elle se dépêche de répondre, pour faire taire cette monstrueuse sonnerie, pourquoi elle ne l’a pas encore changée, déjà ? Ah, oui, elle en a pas eu le temps… Elle arrive finalement à attraper son portable et décroche : « Pronto, pronto ? », mais probablement son interlocuteur n’était pas encore prêt, vu qu’elle n’a pas de réponse. Quand même, cet appel maudit l’avait brutalement arrachée de son observation, de sont petit monde secret, pour la rejeter à nouveau dans la réalité perceptible. Tout ses efforts pour transcendre ce monde et rejoindre l’espace de l’observation, gaché à cause d’une connerie d’appel. On peut le dire cela en français, ou à l’écrit semble-t-il trop vulgaire ? De toute façon, je l’ai déjà écrit et je n’ai pas envie de récrire ma phrase. Cette connerie d’appel.
Soudain, Alis se rend compte que sa présence a été perçue par les gens sur le banc à côté, qui ont été distraites de leur conversation à cause de l’appel et qui maintenant la regardent. Même la femme aveugle s’est tournée vers elle, la regardant avec ses yeux vides : elle sait qu’elle est là, elle la voit. Le chien s’approche en bavant, Alis panique. Elle commence à courir, courir, pour aller où, elle ne le sait pas. Mais cela n’est pas grave, il faut juste courir, courir jusqu’à sentir ses jambes faire mal, son souffle s’échapper de son corps, pour arriver à nouveau à s’observer de l’extérieur.