Je ne suis qu’un instant_Maeva Rakotovao Lechaux, Parigi.
_Prix Energheia France 2016.
Ils parlent, parlent, parlent. J’écoute par intermittences. Photographie, Littérature. Structum, Punctum. Littérature, Photographie, Littérature. Et mon esprit vagabonde. Il part rejoindre un autre temps, un souvenir que je n’arrive pas à chasser de ma mémoire, sans trop savoir pourquoi. Cette image cogne contre les parois de mon corps. Elle veut sortir.
Je suis assise au premier rang d’un séminaire sur le roman gothique aux Etats- Unis. The Scarlet Letter de Hawthorne. Et là encore, je perds le fil, distraite par ces mains qui se meuvent sur l’estrade. Elles ponctuent des phrases qui bourdonnent à mes oreilles. Elles valsent devant mes yeux qui s’y ancrent, subjugués, et n’en perdent aucune miette. Plus rien n’existe sauf elles. Elles et moi. Elles s’assemblent, se détachent, se rassemblent. Se tordent, se plissent, se cachent l’une derrière l’autre. Et je suis fascinée. Des mains qui me parlent d’Hester et de son enfant, qui semble être née à ma conscience de cette harmonie entre son et image, mouvements et paroles, entre sens et sens.
Je me souviens avoir essayé de décrire ces mains. Ou plutôt de ce qu’elles ont éveillées en moi. J’ai voulu les écrire pour en conserver toute la poésie et aussi un peu pour les chasser de ma mémoire. Mais ces mains reviennent incessament à la surface de mes pensées. Ces mains blanches, sèches, ridées. Ces mains animées d’une vie bien à elles. Ces mains qui m’ont raconté tant d’histoires dans le creux de leurs plissures. Des mains d’inconnu. La seule façon d’écrire ces mains aurait été de les photographier.
J’ai envie de partir, de dire au revoir au je –est-ce bien possible ?- de n’être que ces mains. De danser avec elles et de mourir enfin. J’ai envie de me perdre dans le néant du monde et d’oublier que je suis autre chose qu’un corps. Un corps qui se tient là, les yeux en face des mains et qui perd pour une fois toute notion du temps. J’ai envie de figer dans toute sa splendeur plus que le sentiment, l’absence de pensée, la libération. Je me fonds. Je ne suis que peau, ongles, et vaines translucides. Je ne suis que bonheur. Je ne suis qu’un instant. En perdant la durée il perd aussi la mort. Ces mains c’est l’infini qui me touche du doigt et qui me dit que j’avais tort de croire que j’étais plus que ça. Plus que des yeux. Je ne suis que des yeux qui regardent ces mains.