I racconti del Premio Energheia Europa

Tu le paieras..! u l’Europe des femmes, Lucile Bloser-Kelkermans

 

 

5/ Italie_XVIème siècle

 

C’était un mensonge ! Elle n’avait rien fait, elle ne voulait pas… C’était tellement injuste… Finir comme ça juste parce qu’une autre était jalouse… Ce n’était pas juste. Elle devait payer, payer de sa vie, de son souffle, pour expier un crime dont elle était innocente… Elle ne comprenait pas comme elle avait pu en arriver là. Les coups contre la porte devenaient de plus en plus violents, et elle n’osait pas regarder par la fenêtre pour voir les visages remplis de haines des gens qu’elle avait autrefois côtoyés. C’était bel et bien son tour ce soir. Les souvenirs des autres soirs se pressaient dans son esprit sans qu’elle puisse les arrêter. Elle se rappelait des torches allumées qui font procession dans le village, des cris de la foule qui demandent vengeance, du bruit des pas qui résonnent dans la nuit… Elle ne voulait pas mourir comme ça… Dans le spectacle macabre d’une exécution. Portant elle n’avait pas le choix, et ils jetteront bientôt leurs torches sur sa maison pour la voir brûler, pour faire disparaître toute trace de son existence au monde, comme ils l’avaient fait les autres fois. La purification par le feu, c’est ce qu’on leur avait appris. Le feu réduisait les péchés en cendre. Mais elle, elle n’avait pas mérité ça, elle était innocente… Et Dieu le savait. Oui Dieu le savait, seul lui pouvait l’aider, et il le ferait sûrement puisque Dieu ne laisse jamais un de ses enfants dans le besoin pour peu que celui-ci prie avec suffisamment de ferveur. C’est ce qu’on lui avait répété à l’église. Alors dans un dernier élan d’espoir, elle se mit à genou et pria comme le ne l’avait jamais fait avant, avec tout le désespoir qui naît en celui qui se sait condamné à mort. Elle pria pour que ses amis recouvrent la raison, elle expliqua combien elle était désolée pour tout les péchés qu’elle avait commis, qu’elle avait compris la leçon, et elle demanda la miséricorde… Puis la porte craqua, et ils rentrèrent. Elle se sentit attrapée par le bras et tirée dehors. Il était trop tard pour demander Pardon. Elle essaya de se convaincre que c’était pour le mieux en retenant ses larmes, que les plans de Dieu étaient toujours les meilleurs, et que si elle mourrait ce soir, c’était pour le satisfaire Lui. Elle devait être forte, être fière de l’épreuve que le Seigneur lui imposait, car il impose toujours plus à ceux qu’il aime le plus. Elle devait montrer qu’elle était digne de lui, montrer aux autres qu’elle aurait quand même sa place au paradis. Mais malgré tout elle avait peur, tellement peur. Peur de ce qui lui arriverait avant la mort, de souffrir comme ces autres femmes dont les cris avaient hanté le village plusieurs semaines même après que les dernières cendres ait été emportées par le vent. Elle se rappelait leurs visages se déformant sous la douleur tandis qu’elles imploraient  pardon. Elle avait toujours pensé qu’elles méritaient ce qui leur arrivait, que c’était une punition divine pour avoir désobéi à Ses lois. Mais maintenant que c’était à son tour, elle n’était plus vraiment sûre de voir les choses de la même manière. Soudain une matière visqueuse vainc se coller à sa joue, et elle leva les yeux les poser sur la femme qui l’avait accusé, les lèvres encore humide de la salive qu’elle venait de lui cracher au visage. Elle avait pourtant tenter de lui expliquer. Elle pensait qu’elle pourrait comprendre que ce n’était pas sa faute, que c’était son mari qui lui avait fait des avances et qu’elle s’était contenté de les repousser car elle était une fille bien… Mais comment expliquer à une femme que son mari a couché avec toutes les jeunes filles de plus de douze ans du village ? Bien-sûr qu’elle ne l’avait pas cru. L’amertume restait coincée dans sa gorge comme un os qui voudrait sa peau depuis ce jour là. Tout ça pour un refus, sa vie pour un refus. C’était pathétique. Mais en réalité elle lui en voulait plus à lui, car peut être que dans d’autres circonstances elle aurait pu réagir comme cette femme. Mariée à un homme tordu et malsain, une femme ne peut que se voiler la face. Mais lui, lui était coupable. Il avait commis l’adultère à de nombreuses reprises, il s’était écarté du chemin de Dieu et l’avait condamné à mort pour ne pas avoir voulu se compromettre avec lui. Et il était là debout en face d’elle, nullement inquiété par ses agissements. C’était injuste. Et tandis qu’on la traînait vers le tas de bois qui lui servirait de tombe, elle ne lâcha pas des yeux l’homme qui était responsable de sa future agonie. Et la peur se mua doucement en colère. En rage même, une rage profonde, une rage de vivre qui se mit à gronder en elle comme jamais auparavant. Peut être que Dieu ne l’avait pas abandonné finalement, peut être que c’était ça qu’il attendait d’elle, qu’elle se batte pour sa vie, qu’elle défende son honneur. Et peut être qu’ainsi elle aurait une chance.  Alors elle décida de se débattre, de toutes ses forces, et elle hurla son innocence pour qu’elle résonne dans tout le village. Les gens sauraient qu’ils commettaient la plus grande erreur de leur vie, et qu’ils iraient tous en enfer pour l’avoir condamné. Et elle, elle les regarderait d’en haut en se riant d’eux. Un sourire tordu se dessina sur son visage. Oui Dieu la vengerait. Elle le savait. Pourtant toutes ses convictions et ses belles paroles ne parvenaient pas à faire disparaître la boule qu’elle avait au ventre depuis qu’elle avait entendu le premier coup contre sa porte. Aussi son sourire finit il par s’éteindre aussi vite qu’il était apparu, et quand elle leva les yeux pour regarder le bûcher sur lequel elle laisserait son dernier souffle, l’angoisse devint plus forte encore. Elle savait qu’elle ne devait pas avoir peur de la mort, et pourtant il y avait tellement de choses qu’elle aurait voulu vivre… Elle aurait voulu avoir des enfants, les regarder grandir, les amener à sa mère pour qu’elle les prenne dans ses bras, elle qui avait toujours voulu être grand-mère, à la tête d’une grande famille… Elle aurait voulu avoir son propre foyer, dans lequel elle aurait pu faire la cuisine, coudre pour ses enfants et devenir une vraie femme. Mais elle ne connaîtrait jamais ça. Elle ne serait jamais une femme. Elle sentit une larme couler sur sa joue tandis que les cordes se resserraient autour de sa taille et de sa poitrine. Elle y était, c’était la fin. Sa fin. Elle balaya la foule de ses yeux embués sans réussir à discerner les visages, et c’était peut être mieux comme ça, elle n’était pas sûre de vouloir voir la haine et l’exaltation dans les yeux de ceux qui avaient partagé son quotidien pendant quinze ans. Alors elle ferma les yeux, et tandis qu’elle sentait la chaleur monter au niveau de ses pieds, une seule question résonnait dans son esprit fatigué et brisé. « Pourquoi moi ? »

4/ Espagne_XVIIème siècle

 

Elle regarda l’homme en face d’elle enlever ses vêtements un par un, découvrant un corps gras, couvert de cicatrices et de poils grisonnants. Elle tenta de masquer sa moue de dégoût et détourna le regard vers les tapisseries qui ornaient la chambre. Il lui semblait que tout était allé si vite… Trop vite. Hier encore elle était chez elle, auprès de sa mère, à recevoir des leçons de piano, de religion et de conduites visant à la faire devenir ce qu’elle était aujourd’hui. Elle ne pouvait pas dire qu’elle n’avait pas été préparé, pourtant devant le fait accompli elle avait la sensation que quelque chose clochait. On lui avait dit qu’elle ressentirait de la joie, que ce serait un grand honneur, qu’elle devrait être reconnaissante… Elle ne ressentait rien de tout ça, seulement une boule au ventre qui ne l’avait pas quitté depuis qu’on lui avait annoncé la nouvelle quelques jours plus tôt. Elle se souvenait de son enfance, quand elle fixait les tableaux des rois avec les yeux remplis d’étoiles. Et la voilà aujourd’hui, seule, debout devant un lit trop grand avec un homme nu qui l’attendait et qu’elle ne connaissait pas. Elle n’était pas sûre de vouloir le connaître non plus, il lui rappelait un peu son père, et cela la dégoûtait encore plus sans qu’elle pu rien y faire. Elle savait que c’était une opportunité incommensurable pour sa famille, on ne lui avait assez répété, mais elle ne voulait pas. Non, en regardant le corps de cet homme elle avait compris qu’elle ne voulait pas. Mais il était trop tard pour elle, trop tard pour sauver son innocence. Elle aurait voulu naître autrement, à une autre époque, mais il était trop tard. Elle entendit soudain son mari crier, « mari » ce mot sonnait toujours désagréablement dans son esprit

« Servante, venez donc déshabiller ma femme, qu’est ce que vous attendez bon sang, qu’elle soit trop vielle pour être féconde ? »
Et une femme arriva pour desserrer son corset et l’aider à enlever ses jupons. Elle se laissa faire. Les paroles de l’homme dont elle devrait maintenant partager la couche avait eu un effet étrange sur elle tandis qu’elles résonnaient dans son esprit. Un peu comme si elle avait été déconnectée du monde, repoussée dans un coin de son esprit par quelque chose qui voulait la protéger. Il lui semblait qu’elle assistait à la scène comme spectatrice. Elle se vit nue devant le lit, elle entendit la servante claquer la porte derrière elle en récitant une bénédiction, et elle se vit, du haut de ses treize ans, se glisser dans le lit. Ensuite elle détourna la tête, et s’efforça de penser à autre chose.

3/ Allemagne_XXème siècle

Comment en était elle arrivée là ? Elle avait une vie normale avant, elle s’efforçait d’être quelqu’un de bien, d’avoir sa place dans la communauté, elle aidait même les petites vielles à traverser (enfin quand elle en voyait ce qui n’arrivait pas souvent mais de tout de même!), alors pourquoi ? Pourquoi lui infligeait on ça maintenant ? Elle avait tellement peur, tellement peur de ne jamais sortir de cet endroit, de mourir ici et de ne jamais revoir sa famille, ses amis et le village dans lequel elle avait grandi. Elle se mordit la lèvre. C’était tout les jours la même chose, tous les jours la même angoisse qui la prenait et ne la quittait que quand elle tombait de sommeil. Mais alors les cauchemars prenaient le relais. Des cauchemars où ils venaient, ils l’emmenaient dans la salle, et elle n’en ressortait jamais. Toutes les nuits les mêmes cauchemars, et toutes les nuits le même réveil en sueur tandis qu’elle tentait de se calmer sans faire de bruit pour ne pas les alerter… Il ne fallait pas qu’ils l’entendent, il ne fallait pas qu’ils sachent… Sinon ils viendraient la punir… Soudain elle entendit un bruit de pas dans le couloir. Ils venaient en chercher une. Comme à chaque fois elle se laissa tomber sur ses genoux et pria. Dans tout son égoïsme elle pria pour qu’ils ne viennent pas la chercher elle mais une autre. Et lui bruit de pas s’arrêtèrent devant sa porte. C’était son tour. Une larme coula le long de sa joue, une unique larme. Cela faisait longtemps qu’elle ne pleurait plus, son corps complètement déshydraté et à bout de force. Pourtant face à la promesse de la mort et de la torture, une fine larme gorgée de sel avait trouvé son chemin jusqu’à ses yeux. Une clé tourna dans les serrures et deux hommes rentrèrent dans la pièce avant de l’empoigner pour la tirer vers la salle. Elle ne tenta même pas de se défendre, c’était inutile, elle était trop faible, amoindrie, et eux trop forts et trop nombreux, elle ne récolterait que des coups pour la punir. Elle retint son souffle quand elle passa la porte de la salle. Elle ne l’avait encore jamais vu, pourtant les cris des autres femmes l’avaient renseignée sur se qui pouvait s’y trouver. Elle allait avoir mal. Elle vit deux hommes en blouse blanche s’approcher d’elle, ils ressemblaient un peu à des médecins, mais quelque chose lui disait qu’ils n’étaient pas là pour la soigner. On la déshabilla et lui sangla les poignets et les chevilles sur ce qui semblait être une table d’opération. Elle sentit les battements de son cœurs accélérer alors que les hommes en blanc s’approchèrent de la table. Ils ne la regardèrent jamais dans les yeux, ne lui accordèrent aucune parole. Un peu comme si elle n’existait pas, comme si elle n’était qu’un sujet de laboratoire. Ils commencèrent par prendre des mesure de son corps, en détail, tout en faisant des commentaires qu’elle ne pouvait pas comprendre. Ils se prirent même à rire une fois. Elle ne comprenait pas comment on pouvait rire quand on était sur le point d’infliger à quelqu’un ce qui l’attendait. Puis ils lui détachèrent une jambe. Ça allait commencer. Elle sentit alors une immense douleur parcourir son corps en partant de son mollet, elle hurla sans savoir ce qu’on était entrain de lui faire, elle tenta de se débattre cette fois, mais elle était trop faible. Cela dura quelques minutes encore, quelques minutes qui lui parurent une éternité, sans qu’elle ne pu rien faire d’autre que hurler. Elle avait tellement peur de ce qu’ils étaient entrain de lui faire, de ce qu’ils allaient lui faire après. Elle avait peur de ne jamais pouvoir remarcher un jour, et tout ça à cause d’eux. Elle avait peur de mourir ici dans cette parodie d’hôpital. Elle avait peur de ne jamais sortir de cet enfer. Puis elle ne sentit plus la lame qui découpait sa peau, et on déposa sa jambe contre la table. Le froid lui faisait du bien. Elle bougea ses doigts de pieds un par un, malgré la douleur que l’acte lui procurait, elle voulait vérifier que tout marchait encore. Puis on la détacha, on sa rhabilla et on lui attacha les mains dans le dos. Encore une nouvelle manière de la priver de sa volonté, elle ne pourrait même plus joindre les mains pour prier, et pourtant la prière était tout ce qui lui restait dans cet endroit. Elle avança en boitant tandis que les deux même hommes qui étaient venus la chercher la raccompagnait jusqu’à sa cellule. Après avoir entendu la clé tourner, elle se jeta sur le sol, le visage contre les pierres froides, pour soulager le poids sur sa jambe. Elle ne voulait pas regarder ce qu’ils lui avait fait, c’était trop pour elle, elle avait épuisé ses dernières forces en hurlant et en tirant sur ses liens, maintenant elle était fatiguée… Mais tandis qu’elle se laissait emporter par la sommeil, la douleur devenant lancinante  une petite voix chuchotait dans sa tête « s’ils ne t’ont pas tué aujourd’hui alors ils reviendront… ».

2/ France_XXème siècle

Allongée sur le lit, fixant le plafond, elle se demandait comment elle pourrait faire pour s’en sortir. Elle avait déjà tenté de s’échapper une fois, mais elle avait fait une crise et on l’avait retrouvé. Elle n’était pas sûre de réussir à s’échapper une deuxième fois. Elle regarda les marques sur son bras où ils avait fait passé les aiguilles, elles avaient laissé des petits points rouges qui lui faisaient mal quand elle les touchait. Elle regarda ensuite son ventre, meurtri par les machineries qu’ils utilisaient et qui était sensés l’aider. Elle soupira. Elle n’était pas sûre de regoûter à la liberté un jour. Pourtant elle savait qu’il l’attendait, et tout ce dont elle rêvait c’était de pouvoir se retrouver dans ses bras. Elle n’aimait pas qu’on se serve d’elle comme cobaye, elle n’aimait pas qu’on l’espionne, elle n’aimait pas qu’on enregistre ce qu’elle disait pendant qu’elle faisait des crises… Mais cela ils s’en fichaient, ces soit-disant médecins. Ils répétait que c’était pour son bien, pour la soigner… La seule chose qui pourrait lui faire du bien c’était de retrouver celui qu’elle aimait, pas qu’on lui répète à longueur de journée qu’il n’existait pas. Elle n’était pas folle, juste différente… En plus elle ne faisait jamais de crises quand elle était avec lui… Il était le traitement dont elle avait besoin. Elle lâcha un soupir. Elle ne savait même pas si elle pourrait le revoir un jour. Elle était sûrement condamnée à servir de rat de laboratoire à tout ces pervers… Ils la poussaient à raconter, raconter tout, dans les moindres détails. Et si elle ne voulait pas, ils la mettaient en transe pour qu’elle n’ait pas le choix… Alors souvent elle mentait, elle inventait des choses, elle disait ce qu’ils voulaient entendre, et en quelque sorte elle se prostituait pour eux. Ils ne voulaient pas vraiment la soigner, juste l’étudier, et elle était certaine qu’ils y prenaient du plaisir… C’est pour cela qu’ils ne voulaient pas la laisser partir, sans elle ils perdaient leur distraction, leur feuilleton d’érotisme gratuit. Elle se retourna dans son lit pour étouffer un cris dans son oreiller. Comme elle les détestait tous ces gens, comme elle avait envie de leur cracher toute sa haine au visage… Mais elle ne pouvait pas, sinon ils la déclareraient comme folle, et ils l’enverraient dans l’hôpital… Cet hôpital d’où les femmes ne revenaient pas, enfin pas comme avant, pas tout entières, pas vraiment elles. Elle frissonna rien que d’y penser. Elle ne voulait pas qu’ils lui infligent ça, tout plutôt que de devenir l’espèce de légume qu’étaient maintenant les autres… Certaines ne pouvaient même plus marcher quand elles revenaient de cet endroit… Elle avait peur que ce soit bientôt son tour, et elle ne pourrait rien faire pour les en empêcher… C’est pour cette raison qu’elle devait partir, et le plus tôt serait le mieux. Ce soir même peut être. Oui ce soir, elle ne pouvait pas prendre le risque de se réveiller demain matin pour apprendre qu’elle était la suivante sur la liste. Alors elle se pencha sous son lit, attrapa les vêtements d’hommes qu’elle avait volé quelques jours plus tôt et mit son plan à exécution. Mais tout ne se passa pas comme prévu, et on la rattrapa. Elle était presque dehors quand un interne l’avait remarquée, il avait sonné l’alerte et en quelques secondes elle était encerclée. On l’avait alors reconduite à sa chambre et enfermée à double tour. Elle avait perdu. Ainsi quand elle se réveilla le lendemain matin, poussée au sommeil par des calmants que les médecins l’avaient forcé à prendre, elle ne fût pas étonnée d’entendre qu’elle allait devoir être transférée pour un petit moment, juste le temps de subir une opération qui lui permettrait d’aller mieux, eux ne pouvaient plus rien pour elle. Elle n’était pas surprise mais cela ne l’empêchait pas d’être morte de peur. Ce qu’elle craignait le plus allait arriver, ce pour quoi elle avait tenté de fuir était sa punition. Si elle n’était pas aussi désespérée, elle aurait pu rire d’elle même et de l’ironie de la situation. Mais ce qui l’attendait était pire que la mort, alors elle n’était pas d’humeur à rire. Elle tenta de se débattre, d’hurler qu’elle ne voulait pas aller là bas, mais bientôt ils la piquèrent avec une aiguille remplie d’un liquide transparent et elle se sentit comme flotter, comme si son corps était trop lourd et trop lent pour son esprit. On la plaça dans une chaise roulante, et on la mena jusqu’à l’hôpital. Là on la fit asseoir sur une chaise autour de laquelle étaient disposés des dizaines de petits scalpels de tailles différentes. Elle savait ce que cela signifiait, mais elle ne pouvait rien faire, son corps ne répondait plus, elle n’arrivait même plus à ouvrir les lèvres et ne parvenait qu’à emmètre un bruit plus proche d’un grognement que d’une véritable parole. Elle aurait voulu jurer mais elle ne pouvait pas, elle aurait voulu s’enfuir mais elle ne pouvait, elle aurait voulu frapper les hommes qui s’affairaient autour d’elle mais elle ne pouvait pas. Elle repensa à celui qu’elle aimait et qui l’attendait dehors. Elle ne le reverrait jamais. Aurait il la patience de l’attendre pour la retrouver au ciel ? Sûrement pas. Elle était amoureuse mais pas dupe, une vie de célibat n’était pas pour lui. Ils avaient tout gâché ces médecins. Ils lui refusaient la vie car ils considéraient que sa vie n’était pas normale. Elle les haïssait tellement. Mais il était trop tard. Elle vit un premier médecin arriver avec une tondeuse et lui raser la tête. Elle regarda ses cheveux tomber sur le sol, presque au ralentie, et le bruit qu’ils faisaient en brisant l’air sonnait comme le glas de ce qui lui restait de féminité. C’était vraiment la fin, personne ne viendrait la sauver. Elle était seule. Elle allait mourir seule. Enfin non pas mourir, pas encore, juste disparaître… Elle allait disparaître seule. Elle sentit un liquide froid couler sur la tête et vit un premier docteur approcher un scalpel de son crane dépouillé, puis se fût le trou noir.

1/ Europe_XXIème siècle

Il la suivait, elle en était sûre. Elle avait tourné à droite, il avait tourné à droite. Elle avait pressé le pas, et il avait accéléré aussi. Il la suivait. Elle balaya la rue du regard à la recherche de quelqu’un ou de quelque chose. Elle ne savait pas vraiment ce qu’elle aurait aimé voir, elle n’arrivait plus à réfléchir correctement, comme si la peur avait paralysé son cerveau depuis qu’elle avait remarqué qu’il était derrière elle. Elle aurait tout donné pour trouver un échappatoire, un miracle qui viendrait la délivrer de cette situation qui virait au cauchemar. Mais il était tard, il n’y avait personne pour la secourir, et Dieu n’existait pas. En plus, en essayant de semer son suiveur, elle s’était enfoncée plus profondément dans la ville, loin des commerces, du commissariat, loin de la vie. Il n’y avait personne d’autre. Elle était seule. Cette phrase se répétait en boucle dans son esprit sans qu’elle puisse s’en détacher. Elle était seule. Seule. Seule avec un homme qui le prenait en chasse. A cet instant, elle n’avait qu’une seule envie, disparaître. Mais elle ne savait pas disparaître alors elle se contenta de tourner la tête rapidement pour voir si lui était toujours là. Oui, et il se rapprochait. Il avait vu qu’elle l’avait regardé, il avait bloqué son regard dans le sien en souriant, et elle craignait que cela lui donne la sensation d’avoir encore plus de pouvoir. Maintenant, il savait qu’elle savait. Son souffle commençait à devenir court. Il allait la rattraper. Elle allait peut être mourir ce soir. Elle avait peur comme jamais auparavant. Elle entendit un cri briser le silence de la nuit,

_ « Hé Mad’moiselle tu marches vachement vite dis donc, tu vas où comme ça ? » suivit d’un rire gras.

C’était lui. Son sang ne fit qu’un tour et il lui sembla que son cœur venait de s’arrêter. Il lui avait parlé. C’était finit, il ne la lâcherait plus. Il n’y avait plus d’espoir. Elle allait sûrement mourir ce soir. Elle n’aurait pas le temps de rentrer, il allait bientôt se lasser de la regarder de loin, et alors il allait attaquer. De toute façon elle n’aurait pas tenu jusqu’à chez elle dans ces conditions. Le vent froid lui brûlait la gorge et les poumons et ses jambes lui faisaient mal à force de l’effort qu’elle faisait pour augmenter toujours plus le rythme. Elle n’en était pas capable. Elle avait peur, elle avait mal, et elle lutait de toutes ses forces pour ne pas se laisser aller et se mettre à pleurer. Pleurer la ralentirait. Pleurer la rendrait plus faible.Mais il était toujours là. Elle ne pouvait pas penser à autre chose, la douleur, la peur, sa présence, le danger, toutes ces idées se bousculaient dans sa tête, cela lui donnait envie de hurler. Et lui il se rapprochait toujours, elle pouvait maintenant entendre le bruit de ses pas qui tapaient sur le sol. Elle avait envie que ça s’arrête, elle ne pouvait pas le supporter plus longtemps, elle allait craquer, elle ne tiendrait pas, il allait la rattraper. Bientôt, dans une seconde peut être, ou bien la suivante. Elle dépendait de lui à cet instant, elle n’était plus elle même, elle n’était plus qu’une proie essoufflée qui savait que son heure était venue. Elle était presque pathétique comme ça, à courir pour échapper à sa propre mort, mais elle n’avait pas le choix, elle devait continuer d’avancer, parce qu’elle ne pouvait rien faire d’autre, parce qu’il était derrière elle.  Alors une pensée lui traversa l’esprit. Et si elle s’arrêtait ? Après tout elle n’avait plus aucune chance. Ce qui devait arriver arriverait de toute façon, peu importe combien elle essayerait. Et s’arrêter signifiait aussi la fin de la douleur, la fin du doute qui brisait son esprit, et cette perspective la remplissait d’une joie tordue et malade. A quoi bon courir, à quoi bon souffrir, à quoi bon prolonger cette torture mentale et physique quelques secondes de plus ? Après tout elle devait mourir ce soir, il n’y avait plus d’autre choix, plus d’autre alternative. Alors à quoi bon ? Mais son poursuivant ne lui laissa pas le temps de choisir, il l’attrapa par le bras et la retourna vivement. Elle pu enfin observer cet homme qui lui faisait si peur. Il était gras, il était sale, et il transpirait la stupidité par tout les pores de sa peau. C’était pathétique de finir tuée par quelqu’un comme ça, elle aurait préféré qu’il soit grand et fort, qu’il inspire la peur au point qu’on ose pas croiser son regard. Mais c’était juste un pauvre gars qui puait l’alcool et la cigarette. Elle tenta de se débattre, mais il la tenait trop fort, et il riait. Elle voulu hurler mais il la lança contre le mur en pierre qu’elle longeait depuis qu’elle avait remarqué qu’il la suivait, et sa tête heurta le sol dans un grand boum. Elle le regarda ensuite s’approcher, lui cracher dessus, avant de la traîner plus loin derrière des buissons. Mais le pire c’était ce rire gras qui résonnait pas sa tête. Alors ce serait ça son dernier souvenir ? Elle finirait comme ça, violée par un imbécile et laissée pour morte avec ce rire qui la hanterait pendant ce qui lui restait de temps à vivre ? Pathétique. Elle avait tellement de choses qu’elle aurait voulu vivre, il lui restait tellement de temps… mais elle allait finir comme ça, ce soir. C’était tellement injuste ! Elle n’avait pas mérité ça… Personne ne méritait ça… Sauf peut être ce type qui était entrain de ruiner sa vie, lui il méritait de souffrir, oui elle voulait qu’il souffre ! Et à cet instant tout lui revint en mémoire comme dans un flash. C’était bien des années avant, avant même sa naissance, elle n’était pas elle alors, elle était lui. Un baron qui régnait sur ses terres en maître, qui imposait une dîme toujours plus forte à ses paysans. Parce qu’il s’en fichait, parce qu’il avait le pouvoir, parce que seul lui comptait. Il se rappelait du soir où c’était arrivé. Il avait utilisé son pouvoir une fois de trop. Il avait entendu dire qu’un mariage se préparait, et il avait demandé à rencontrer le jeune couple dès que ceux-ci étaient sortis de l’église, comme à chaque fois. Mais cette fois la fille lui avait plu, elle n’était pas vilaine, plutôt jeune, et surtout elle semblait amoureuse. Et l’idée de pouvoir gâcher le bonheur naissant de deux personnes faisait monter une joie malsaine en lui. Il n’avait qu’une seule chose à dire pour les détruire, c’était tellement simple, tellement jouissif. Et il l’avait dit « Droit de cuissage ». Ses soldats avaient alors emmené le mari qui se débattait et hurlait, tandis que la jeune mariée avait fondue en larme et était tombée à genoux. Il adorait ça, voir son pouvoir en œuvre, c’était presque plus agréable que ce qui allait se passer ensuite. Il ordonna que la jeune femme soit conduite à sa chambre, où il la prit comme on prenait une catin. Sans la regarder et en la touchant le moins possible. En quelques minutes c’était fini. Il la regarda recroquevillée sur le lit, le visage rougit par les larmes qui coulaient encore sur ses joues, elle n’était pas si jolie que ça au final, elle le dégoûtait même à cet instant. Il demanda à ce qu’on appelle les gardes, et il retourna dans la salle du trône d’où il assisterait aux retrouvailles des deux amoureux. Ils voulait voir la déchirure dans leurs yeux, il voulait voir qu’ils les avaient brisés. Mais au lieu de ça il vit du soulagement, le soulagement de ceux qui retrouvent ceux qu’ils aiment. Il ne le supportait pas. Il voulait qu’ils soit malheureux, lui seul avait le droit de sourire. Alors il approcha doucement de l’homme, sortit son épée de son fourreau, dans avec une joie qui dépassait encore celle qu’il avait ressentit plus tôt, il la plongea jusqu’au fourreau dans les entrailles de celui qui avait osé le défier. Il le regarda tomber sur le sol, le regard vide, et sa jeune épouse se précipiter vers lui en hurlant. Il allait ordonner qu’on les enlève de chez lui quand elle se tourna vers lui, les yeux remplis de colère

« Je te maudis, toi qui a gâché ma vie. Je veux que tu souffres, pendant toutes les autres vies que ce monde voudra bien t’offrir. Que tu souffres comme j’ai souffert aujourd’hui, sans jamais avoir le droit de trouver le repos ! »

Puis elle s’était effondrée.